Ce numéro constitue le premier volet d’un dossier thématique consacré à l’analyse musicale dans ses rapports à la forme et au contexte. La problématique n’est pas nouvelle, comme le souligne à juste titre l’initiateur de ce dossier, Vincent Granata, dans son introduction. Elle soulève des questions aussi anciennes que centrales sur l’immanence et l’autonomie de l’analyse, sur les différents types de renvois sémiotiques de la musique, sur l’enchevêtrement du niveau structural et des contextes de production et de réception, enfin, de manière plus générale, sur le statut de l’analyse musicale dans la musicologie.

Résultat d’un colloque interdisciplinaire organisé en 2020, ce numéro prend le parti ambitieux d’envisager certains de ces problèmes d’un point de vue esthétique en posant la question suivante : « pour étudier les propriétés esthétiques d’une œuvre, faut-il faire une analyse musicale ou une analyse socio-historique » ? Si, sans surprise, les trois articles thématiques qui suivent répondent à la question en insistant sur la nécessité de croiser les angles d’approche, leur originalité tient aux outils conceptuels invoqués, aux constructions intellectuelles analysées, aux méthodes appliquées et aux répertoires explorés.

La réflexion ontologique engagée par Alessandro Arbo montre que le discours sur la musique, y compris le discours esthétique, doit tenir compte du double statut de la musique – à la fois art de la trace et art de la performance – et ajuster ses méthodes et finalités en raison de la position de l’œuvre par rapport à ces deux pôles. Benjamin Straehli, dans sa lecture fine du Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer, n’écarte pas que le matériau musical, même s’il est situé en deçà de la forme et du contexte, puisse livrer un accès à l’organisation musicale et constituer un point de départ à l’étude de la beauté en musique. Enfin, Emmanuel Parent explique que si dans le cas du rap, exemplifié par la chanson « Bodak Yellow » de Cardi B, le discours sur les particularités esthétiques ne peut faire l’impasse sur les contextes – la culture africaine-américaine de la performance et de l’oralité, la célébration de l’hétéronomie marchande et l’interaction avec les pairs –, l’approche anthropologique doit nécessairement être complétée par une analyse technique détaillée, notamment lorsqu’il s’agit de comprendre en détail les interactions entre les artistes ou encore les renvois intertextuels qui caractérisent ce répertoire.

Dans l’article hors thématique, Michi Fujita procède à la comparaison de différentes analyses de Densité 21.5 d’Edgard Varèse. Cette mise en série confirme que l’identification de propriétés structurales – notamment celles qui se manifestent à travers les segmentations proposées – dépend du prisme à travers lequel les analystes perçoivent leur objet d’étude. L’article entretient à ce titre des liens implicites avec les problématiques traitées dans les contributions thématiques. Mais indépendamment des perspectives analytiques individuelles, cette comparaison met aussi au jour un certain nombre de tensions inscrites dans la matrice même de l’œuvre. Ces nœuds structuraux tiennent à des contradictions entre les paramètres musicaux et semblent liés à la compréhension particulière qu’avait Varèse de la forme en tant que résultat d’un processus.

Cairn : https://www.cairn.info/revue-musurgia-2021-2-page-3.htm