BUNEL, GUILLAUME, ENTRE FUGAE EXACTES ET DIATONIQUES : TROIS NUANCES DE L’ÉCRITURE IMITATIVE DANS L’ŒUVRE DE JOSQUIN DESPREZ (V.1450-1521), MUSURGIA, 30/1 (2023)
S’appuyant sur les écrits de théorie musicale des années 1540 et 1550 notamment, la littérature musicologique récente tend à distinguer deux types d’écriture imitative (fuga) pratiqués durant la Renaissance. D’une part, les fugae « exactes », dans lesquelles la partie de comes reproduit à l’identique les intervalles chantés par la partie de dux ; d’autre part, les fugae « diatoniques », dans lesquelles la partie de comes reproduit les intervalles chantés par la partie de dux seulement dans la mesure où cette imitation préserve la structure de l’échelle d’origine. L’étude systématique des fugae attribuées à Josquin Desprez (v. 1450-1521) révèle que cette bipartition ne permet toutefois pas de décrire l’ensemble des situations rencontrées. Certaines fugae requièrent une réalisation « mixte », associant des passages en imitation exacte à des passages en imitation diatonique ; d’autres se prêtent à une pluralité de réalisations distinctes. D’autres, enfin, ne semblent pouvoir être chantées selon aucune des techniques envisagées, toutes les réalisations soulevant d’inextricables difficultés contrapuntiques. À une époque légèrement antérieure à la fixation théorique de la distinction entre fuga exacte et diatonique, la variabilité des notations relevées dans les sources musicales, la complexité, la richesse des formes et des dispositifs employés par Josquin révèlent une approche compositionnelle souple, loin des cadres binaires suggérés par la théorie ultérieure. Par une cartographie des principales difficultés posées par la réalisation des fugae attribuées à Josquin, cet article vise à montrer que les techniques d’écriture imitative constituent un terrain fécond d’expérimentation pour le compositeur. D’une importance fondamentale dans l’œuvre de Josquin, et plus largement dans les polyphonies de la Renaissance, elles soulèvent d’importantes questions quant au statut des sources musicales et théoriques, ainsi que des techniques de réalisation sonore des fugae autour de 1500.
Between Exact and Diatonic Fugae: Three Nuances of Imitative Writing in the Works of Josquin Desprez (c. 1450-1521)
Drawing on music theory sources from the 1540s and 1550s in particular, recent musicological literature tends to make a distinction between two types of imitative writing (fuga) practiced during the Renaissance. First, there are the “exact” fugae, in which the comes part precisely reproduces the intervals sung by the dux part; secondly, there are the “diatonic” fugae, in which the comes part reproduces the intervals sung by the dux part only insofar as this imitation preserves the structure of the original scale. A systematic study of the fugae attributed to Josquin Desprez (c. 1450-1521) reveals that this bipartition does not, however, cover all the cases encountered. Some fugae require a “mixed” realisation, combining passages in exact imitation with passages in diatonic imitation; others lend themselves to a variety of distinct realisations. Others, finally, cannot be sung using any of the techniques envisaged, all of which raise inextricable contrapuntal difficulties. At a time slightly before the theoretical distinction between exact and diatonic fuga was established, the variability of notations found in musical sources, and the complexity and richness of the forms and techniques used by Josquin reveal a flexible compositional approach, far removed from the binary frameworks suggested by later theory. By mapping out the main difficulties involved in composing the fugae attributed to Josquin, this article aims to show that imitative writing techniques provided fertile ground for experimentation on the part of the composer. Of fundamental importance in Josquin’s work, and more broadly in Renaissance polyphony, they raise important questions about the status of the musical and theoretical sources, as well as the techniques used in the realisation of the fugae around 1500.