HÉROLD, NATHALIE, ÉDITORIAL, MUSURGIA, 29/3-4 (2022)

Auteur: Hérold, Nathalie
Titre: Éditorial
Pagination: p. 3-5
Langue de l’article: Français

Lancé en 2019 pour les 25 ans de Musurgia, le concours d’articles de la revue, organisé par la Société Française d’Analyse Musicale, est désormais un événement annuel, à l’occasion duquel deux prix sont décernés. Le Prix Jean-Jacques Nattiez, placé sous le patronage de ce dernier, vise à récompenser un jeune chercheur ou une jeune chercheuse pour un article rédigé en langue française ; le Prix SFAM est plus largement ouvert à tout article d’analyse ou de théorie musicale, en français ou en anglais, proposé par des auteurs ou autrices en début de carrière ou plus expérimentés [1]Pour davantage de précisions au sujet des appels à articles….

Pour cette édition 2021, la revue a reçu 9 articles rédigés en français, tous émanant de jeunes chercheurs ou chercheuses – 2 femmes et 8 hommes, l’un des articles ayant été rédigé à quatre mains. Ces propositions d’articles recouvrent un grand éventail à la fois temporel et thématique, « du hoquet du xive siècle aux pratiques de l’analyse assistée par ordinateur, en passant par le contrepoint chez Josquin Desprez, […] la place de la musique dans le cinéma d’animation japonais et […] l’analyse spectrale dans le chant diphonique », comme le précisait Muriel Boulan lors de la remise des prix [2]Voir « Remise des prix Musurgia 2021 (29/01/2022) », accessible…. Cette jeunesse et cette diversité témoignent du dynamisme de la recherche francophone en analyse et théorie musicales.

Les titres des articles lauréats et leurs auteurs ont été rendus publics en décembre 2021 et les récompenses ont officiellement été décernées lors de la remise des prix qui s’est tenue le 29 janvier 2022, à l’issue de l’assemblée générale annuelle de la SFAM. Olivier Migliore, docteur en Musicologie de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, remporte ainsi le Prix Jean-Jacques Nattiez pour son article intitulé « Analyser l’interprétation vocale des musiques populaires avec le logiciel Audiosculpt : chronique d’une pratique de l’analyse musicale assistée par ordinateur ». Quant au Prix SFAM, il a été décerné ex-æquo à Camille Lienhard, docteur en Musicologie de l’Université de Strasbourg, pour son article intitulé « Les fonctions de la hauteur-note dans les écritures instrumentales du son complexe : approche théorique et analytique », ainsi qu’à Kévin Roger, docteur en Musicologie de l’Université de Tours, pour son article « La rhétorique du hoquet à texte brisé : enjeux analytiques, poétiques et acoustiques dans les motets du xive siècle ».

L’ensemble de l’équipe de Musurgia renouvelle ses félicitations aux trois lauréats et remercie chaleureusement Jean-Jacques Nattiez et la SFAM pour leur soutien récurrent à ce concours.

L’article d’Olivier Migliore part du constat que l’analyse musicale demeure souvent absente des études portant sur les musiques populaires. Ainsi, l’auteur présente une méthode visant à analyser l’interprétation vocale, en particulier sous l’angle de la prosodie musicale, dans trois principaux styles musicaux : le punk, le rap et le ragga. Issue d’une collaboration avec l’IRCAM, cette approche multidisciplinaire qui s’appuie tant sur la linguistique que l’informatique – notamment par le recours au logiciel AudioSculpt – accorde une place de choix à l’étude du rapport entre texte et musique à partir du signal audio, sous l’angle de mécanismes relatifs à l’accentuation et au placement métrique des syllabes. Comme l’a formulé Jean-Jacques Nattiez à l’occasion de la remise des prix, « l’analyse de détails, parfaitement maîtrisée, peut être mise en rapport avec des données historiques […], dans [une] perspective […] de musicologie générale où l’histoire, l’anthropologie de la musique et l’analyse musicale ne sont pas séparées [3]Voir « Remise des prix Musurgia 2021 (29/01/2022) ». ».

L’article de Camille Lienhard expose une réflexion théorique fondée sur le concept de « hauteur-note » considéré en regard de la notion de « son complexe » et de ses écritures instrumentales, telles qu’elles se matérialisent dans différents répertoires musicaux savants des xxe et xxie siècles. À la lumière de données issues de la psychoacoustique, Camille Lienhard « aboutit à la mise en évidence que la hauteur-note […] d’une part n’a pas disparu de la nouvelle écriture des sons complexes, et d’autre part qu’elle passe d’une fonction qui est structurante […] à une fonction médiatrice [4]Marie-Noëlle Masson, ibid. », c’est-à-dire sonore. Différentes catégories fonctionnelles sont ainsi élaborées, en développant notamment certaines analogies avec les techniques de synthèse sonore. L’article propose pour finir une application analytique à la pièce Pour l’image de Philippe Hurel, fondée sur des représentations tridimensionnelles de niveaux de densités, en lien avec les catégories établies auparavant.

L’article de Kévin Roger aborde la rhétorique du hoquet à texte brisé dans les motets du xive siècle. Impliquant diverses troncations des mots, cette technique de composition questionne l’intelligibilité du texte poétique servant de support à la musique. Plusieurs études de cas permettent à l’auteur de procéder à une analyse détaillée de différentes modalités d’articulation du texte et de la polyphonie musicale, en examinant notamment la coïncidence de l’accentuation latine avec les temps forts, le placement des coupes et des silences, ou encore le choix des figures rythmiques, tout en faisant appel à des notions relatives à la cognition musicale. Comme l’exposait Marie-Noëlle Masson lors de la remise des prix, l’article « montre in fine que, malgré les apparences, les compositeurs du xive siècle semblent animés d’une volonté sous-jacente, mais réelle, de préserver le vers et de rendre intelligible la parole [5]Ibid.. »

Enfin, l’article de Mickael Blum, qui vient compléter ce numéro, s’inscrit dans le développement relativement récent du nouveau champ de recherche que constitue la ludomusicologie, une approche pluridisciplinaire des musiques de jeux vidéos, dont l’auteur ne manque pas de rappeler le contexte en regard de l’histoire de la technologie. La partie analytique de l’article porte sur la musique du jeu vidéo Shovel Knight sorti en 2014, dont la musique, composée principalement par Jake Kaufman, a la particularité de relever d’une esthétique 8-bit caractéristique des années 1980-1990. L’analyse, qui s’appuie sur des relevés mis en partitions, fait appel à des méthodes relativement traditionnelles portant sur les dimensions mélodique, harmonique et rythmique, sans oublier la prise en considération des effets sonores. La mise en perspective avec la dimension narrative du jeu – particulièrement intéressante dans le cas de l’analyse des récurrences motiviques entre les différents morceaux –, tout comme avec la notion d’interactivité, permet d’apprécier la place et le rôle de la musique au sein d’une production multimédia.

 

Notes :

[1] Pour davantage de précisions au sujet des appels à articles relatifs aux différents concours SFAM/Musurgia, voir https://sfam.org/publications/musurgia, consulté le 17 mai 2023.

[2] Voir « Remise des prix Musurgia 2021 (29/01/2022) », accessible sur la chaîne YouTube de la SFAM à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=2e8HYVWfLpg, consultée le 17 mai 2023.

[3] Voir « Remise des prix Musurgia 2021 (29/01/2022) ».

[4] Marie-Noëlle Masson, ibid.

[5] Ibid.